L'origine du peuple Bgandi
L’après-midi du jour de la Bonana — la « bonne année » — de 1972, on vit surgir à Abumombazi un fou de la tribu Bwa. L’homme était grand, costaud et d’un âge indéterminé. Il était très laid, sale, tout rouge de la poussière argileuse de cette contrée, pieds nus et noir comme du charbon de bois. Ses yeux tout rouges irradiaient comme de la braise dans un brasero" bambula "surchauffé. Mais le fou s’entêtait à fixer enfants, hommes et femmes de ces yeux de Yangba, le terrible dieu de la maladie et de la pestilence. Habillé de haillons, il empestait l’air comme dix cadavres putrescents du bosunga, le rat puant dont les effluves infects restaient dans la case deux mois après qu’on l’y eût découvert, tué et jeté dans l’Ebola—L’Eau Blanche, la rivière qui, à une distance de près de trois kilomètres de là, baignait de ses eaux vivifiantes la ville d’Abumombazi et serpentait son bonhomme de chemin vers le sud-ouest, avant d’aller rejoindre la rivière Mongala au niveau de Businga, d’où les deux, main dans la main, continuaient cette ondulation éternelle jusqu’au grand Fleuve Kongo où l’âme des Ngbandis se diluaient et s’emmêlaient aux autres âmes tribales du grand Kongo.
Le fou Mo-Bwa parlait le Mongwandi sans accent ; et c’est dans leur propre langue qu’il lançait fatwas et anathèmes sur ses « oncles » Ba-Ngbandis.
LES NGBANDI
Bien qu’ils soient de féroces guerriers, les Ngbandis sont un peuple pacifique et tolérant qui avait su tisser avec ses anciens ennemis de nouvelles alliances de coopération basées sur des genres de plaisanteries agressives. Surtout justement avec les Bwas, les voisins de l’est, que les Ngbandis appelaient leurs « oncles », en dépit de tout le mal que ce peuple de fourbes leur avait causé par le passé. Les Ngbandis d’Abumombazi tolérèrent donc ce fou Bwa, malgré sa pestilence, malgré les poux qu’on voyait ramper sur ses cheveux, sa peau et ses habits, malgré ses insultes — qui sont les « oncles » à ne pas s’insulter ?—et malgré le nom ridicule qu’il s’attribua.
Et en ces années du règne incontesté de leur fils ( Mobutu sese seko ) qui marquait de l’empreinte indélébile de leur tribu tout le pays, les Ngbandis d’Abumombazi pouvaient se montrer magnanimes envers le fou Bwa. On offrit donc au fou de la nourriture et même du ngbako, le puissant alcool de bananes plantains. Les trois semaines durant , il maudissait Mobutu, la mère de Mobutu, les Ngbandis et tous leurs ancêtres.
L’après-midi de la Bonana, quand le fou Mo-Bwa a surgi près des bars du marché de la cité, les Ngbandis d’Abumombazi ne l’avaient pas pris au sérieux.
Presque tout ce que la bourgade comptait en jeunes gens était réuni près de la longue route macadamisée — bordée ici comme toutes les belles avenues de la petite ville de grands palmiers et baptisée Boulevard Mobutu — qui longeait à quelque distance le grand marché où se trouvaient concentrés les grands bars et les deux motels, et traversait la ville presque en ligne droite, la reliant au nord à Yakoma, à près de 55 km à vol d’oiseau, et au sud, à près de 160 km, à Bumba au bord du Fleuve Zaïre.
Dans un hurlement, le fou Bwa déclina sa macabre identité devant le Bar-Monga : « Je m’appelle Gbatala Nzengu, la double réincarnation de vos plus grands cauchemars, vous, les Tara Ngbandi, maudits descendants de Kola Ngbandi ! »
Les Ngbandis comprirent tout de suite qu’il s’agissait d’un pauvre « oncle » Bwa dont l’âme avait été volée et mangée par la likundu, la terrible confrérie de sorciers. Il n’était plus qu’une coquille vide d’homme dont il fallait avoir pitié. Un homme lui offrit une bouteille de Munich et les jeunes femmes présentes crachèrent sur leurs seins avant de se signer et de marmonner « Jésus-Marie-Joseph », afin de prévenir qu’un tel malheur ne frappât le fruit qui allait sans aucun doute sortir un jour de leurs matrices. Pensez donc ! Neuf mois à porter cette pourriture dans son ventre sans se rendre compte que c’est une pourriture .— ah !,Nzapa, le Dieu Tout-Puissant, est parfois bien méchant envers nous autres pauvres femmes, se plaignirent certaines d’entre elles, les yeux déjà injectés de sang par le gaz brûlant d’alcool qui leur sortait des narines lorsqu’elles rotaient bruyamment…
Pour pacifier l’« oncle » complètement, Edouard Monga, le jeune propriétaire du Bar-Monga, lui passa une cigarette de bangi de Bumba qui le faisait tousser depuis un moment.
Le fou Mo-Bwa qui prétendait s’appeler Gbatala Nzengu tira de longs traits de cette cigarette de chanvre violent sans tousser une seule fois. Il termina bientôt le joint, écrasa le mégot, l’enfourna dans sa bouche, l’avala et but d’un trait le reste de sa Munich. Il rota bruyamment à la grande hilarité de ses « oncles » Ngbandis et dit, en fixant Edouard Monga de ses yeux de likundu : « Grand merci, Tara Ngbandi ».
Il se retourna et, sans se presser, il alla s’étaler de tout son long sur un étal du marché. Avant longtemps, on entendit le grand fou ronronner dans son sommeil comme un moteur Diesel.
Les Ngbandis avaient bien compris l’allusion insultante de leur oncle mais ils en avaient quand même ri ; car le passé, c’était le passé ; et il est bien mort et enterré, le passé.
Invoquer le nom de Gbatala passait encore et attisait la fierté des Ngbandis qui avaient entendu leur « oncle » fou prétendre qu’il en était la réincarnation.
LA LEGENDE DE GBATALA
Gbatala était un monstre et un criminel de guerre Bwa de la fin du 19ème siècle qui, à la tête d’une meute de guerriers Ba-Bwa, s’était allié aux Tamba-Tamba arabes du Soudan et croyait, parce qu’il disposait de troupes munies d’armes à feu, descendre faire une promenade de santé en terre Mongwande pour y razzier des agwa —des esclaves. La déroute de Gbatala et ses Tamba-Tamba fut prompte et humiliante. Et pour cause…
Une grande coalition intertribale fut forgée pour repousser les mécréants arabo-Bwas. On vit des Dondos, des Gbozes, des Mbakas, des Ngbakas et ceux de Yakoma s’allier avec leurs voisins pour repousser les razzieurs. Il y eut même des Langbas, anciens esclaves récemment assimilés aux Tara Ngbandis, et les Ngombes que ceux-ci avaient dispersés sous la canopée de la profonde ngunda ou chassés vers l’est ; on vit toutes ces peuplades aller en masse prêter main forte à leurs voisins et anciens ennemis. Dans cette coalition, ce furent les féroces Dondos de Kota-Koli qui se distinguèrent avec leurs flèches enflammées qui jetèrent l’effroi de Ngbo —le Serpent Suprême — dans les cœurs des Bwas et leurs complices Tamba-Tamba.
Toutefois, le grave problème des Ngbandis, selon leurs détracteurs qui ne sont autres que leurs « oncles » et voisins immédiats, c’est que leur colère est lente à s’abattre. La colère chez les Ngbandis, dit-on, est un cycle qu’on ne peut interrompre. Alors, autant ne pas les provoquer et ne pas se trouver sur leur chemin quand le courroux du Ngbo les habite. Car la colère, chez eux, c’est une vague de mer profonde qui se lève très sourdement du fond d’on ne sait quelles abysses, indiciblement d’abord, mais puis, lorsqu’elle s’exacerbe, ne peut retomber en ressac qu’en allant violemment s’écraser contre un rivage rocheux. Les Bwas de Gbatala et les Tamba-Tamba—leurs complices dans les razzias, les viols et les massacres— s’étaient trop vite évanouis dans la ngunda, laissant intacte et inassouvie la grande colère vengeresse des Ngbandis. On raconte que les Ngbandis se retournèrent alors contre certains de leurs alliés pour calmer ce courroux irréversible. En proie à la frénésie, ils massacrèrent les troupes Ngombes et Langbas. Les Dondos, les Gbozes et les Ngbaka tirèrent leur épingle du jeu par un repli, certes précipité, mais tactiquement organisé.
Ils peuvent se moquer de la colère des Ngbandis, ces révisionnistes de l’histoire, mais que savent-ils de la colère qui a assuré la survie des adzi, les vrais hommes rouges, qui sont descendus des montagnes du Nouba dans le Kordofan, traversé les plateaux du Darfour où ils ont rallié d’autres hommes prêts à l’aventure et à la conquête, pour enfin déferler sur cette ngunda où ils sont aujourd’hui à cheval sur deux pays ?
LA NAISSANCE DU PEUPLE NGBANDI
Bien que l'histoire conventionelle les fassent descendre des grands mouvements migratoires Africain cad des peuples originaire de la Haute-Égypte et de la Nubie occidental (sud-ouest des clans de Napata), qui migraient vers le sud en quête d'une nature plus généreuse et fuyant aussi les razzias de négriers arabes. Cependant, l'ensemble des informations relatives à des migrations continentales antiques ou très anciennes en Afrique doit être avancé et reçu avec d'extrêmes précautions étant donné le manque d'archives "documentaires". Certes un certain nombre de sciences auxiliaires à l'histoire telle la philologie mais aussi des méthodes tels les études de sémantiques nous permettent d'accorder du crédit à certains récits transmis de génération en génération via la tradition orale. Le danger est naturellement que ces informations soient conjecturales car ne se fondant sur "aucune archive documentaire", elles peuvent être de portée idéologique dans la mesure où elles peuvent toujours chercher soit à valoriser soit à stigmatiser des groupes ethniques minoritaires ou impliqués dans des affrontements politiques et identitaires.
À partir du XVIIe siècle, l'histoire des Ngbandi est étroitement liée à celle des Zandé et des Nzakara avec qui les ngbandi ont une proximité culturelle importante suite au métissage interethnique entre ces peuples au fil du temps. Cette proximité culturelle est aussi due à la similarité de leurs systèmes socio-politiques basés sur la prééminence d'un lignage de clans sur d'autres en fonction de hauts faits d'armes accompli ainsi qu'aux liens tissés avec d'autres lignages puissants.
La tradition elle explique que cette force collective était née de la vision d’un seul homme — Kola Ngbandi, le grand Ngbandi.
Les anciens racontaient qu’après avoir dispersé les uns et soumis les autres, Kola Ngbandi alla enfin se laver dans ce qu’il baptisa L’Eau Blanche — Ebola, la bénéfique — d’où il tira par la queue le Ngbo, le terrible Serpent Suprême, le transforma en canne et parla dès ce moment jusqu’à sa mort glorieuse la langue fourchue des chefs, dieux des hommes ordinaires.
Kola Ngbandi rassembla alors un matin ses troupes fidèles — pas un homme qui restât à flâner dans les campements — au bord de L’Eau Blanche et leur cria de sa voix de stentor les commandements que lui avait soufflés le Ngbo pendant la nuit. Il imposa à tous ceux qui l’avaient accompagné du Kordofan, rallié au Darfour et ceux qui s’étaient joints à lui sur ces terres neuves le privilège de porter tous son propre nom à lui, Kola Ngbandi. S’ils voulaient vivre et prospérer, ils devaient non seulement l’imiter dans ses actions héroïques, mais ils devaient eux-aussi devenir Ngbandi comme lui, leurs enfants des Tara Ngbandis, des éclats vibrants de l’être du Père-Fondateur issus du Ngbo. Il y eut quelques nobles, des amis de première heure dans les collines du Kordofan, qui croyaient que Kola Ngbandi avait quitté sa kitikwara, sa couche de bambou, si tôt le matin pour amuser la galerie avec cette cérémonie d’éponymisation. Il lâcha sur eux l’ire de sa canne, qui se matérialisa en Ngbo — trucidant les dissidents sur le champ. Cent-cinquante Kordofanais et cinquante-deux Darfourois périrent instantanément avant que le Ngbo ne rampât dans la main de Kola Ngbandi pour redevenir canne du Serpent Suprême. Dans les assemblées, personne ne pouvait plus contredire Kola Ngbandi, sauf ceux qui étaient nés ou étaient devenus jumeaux — double ngbo comme le Serpent Vivant lui-même.
A la mort du Kola Ngbandi, les chefs des clans et des grandes familles emmenèrent son corps dans une clairière au fond de la ngunda, le désossèrent, débitèrent les os en petits morceaux qu’ils mirent dans des tolos, des reliquaires de bambous évidés, qu’ils distribuèrent à chaque famille de ceux qui s’appelaient désormais des Tara Ngbandis. On raconte dans ces contrées que dans la vaste cabine de bal du yacht présidentiel du Général de Corps d’armée Mobutu Sese Seko Kuku Ngendu Wa Za Banga —Président-Fondateur du Mouvement Populaire de la Révolution, Parti-Etat, Guide la Révolution Zaïroise Authentique, et actuellement premier d’entre tous les Tara Ngbandis en vie — il y a, pendant au beau milieu du lustre, un tolo contenant les restes des ossements du Kola Ngbandi. Prétention que les puristes rationalistes Tara Ngbandis excluent tout de go avec ces arguments imparables : de un, l’homme n’est pas né en terre Mongwande ; et de deux, Kola Ngbandi est mort il y a plus de trois cents ans — ses restes sont aujourd’hui poussière et plus rien que poussière…
Mais cette colère des dieux que les Ngbandis avaient héritée de Kola Ngbandi devint un sérieux handicap, lorsqu’elle les poussa de massacrer leurs propres alliés lors de la première invasion des Bwas. Car lorsqu’un autre envahisseur Bwa, le génocidaire et étrangleur Nzengu alias Nzengo, retraça le chemin de son prédécesseur Gbatala, aucun des anciens alliés des Ngbandis ne vint à leur rescousse.
Après une blitzkrieg d’une lune, Nzengu et ses sanguinaires avaient arraché une bonne partie des terres Ngbandis, occupé ce qui n’était alors qu’un kodoro, une petite agglomération sur la rive gauche de l’Ebola, pour y bâtir leur forteresse connue aujourd’hui sous le nom d’Abumombazi. Et l’ancien kodoro, qui a prêté son éponyme à la collectivité du même nom, rayonne aujourd’hui, malgré ses douleurs de gestation, grâce à son fils, le Général de Corps d’armée Bobozo, qui vient d’y supprimer pour tous ses natifs l’impôt de laContribution personnelle minimum (CPM) — que le Serpent Suprême le préserve !
Mais tous les natifs de ce terroir connaissaient par cœur les horreurs que leurs ancêtres avaient vécues dans les mains de Nzengu, et pourquoi leur petite ville et leur collectivité s’appelaient du nom maudit d’Abumombazi. Les prisonniers Ngbandis qui pénétraient dans l’enceinte du palais de Nzengu n’en ressortaient jamais vivants. Le despote fou, voulant épargner de la poudre à canon qui coûtait les yeux de la tête, avait trouvé un moyen bon marché pour éliminer les têtes brûlées ngbandies : ses sbires écrabouillaient ces têtes à coups de gourdins. Ah, terrible époque où L’Eau Blanche avait tourné au rouge par le sang des valeureux Ngbandis abandonnés de tous ! Ah, si L’Eau Blanche pouvait seulement parler !
LES NGBANDI EST LES BELGES.
Les Ngbandis surnommèrent alors le joyeux tyran Bwa « aboma-na-mbaso », celui qui tue avec un gourdin. Et quand les Belges de l’Etat Indépendant du Congo naissant vinrent tirer les Ngbandis des griffes de ce fou Bwa et qu’ils leur demandèrent le nom de leur kodoro sans nom en pointant le doigt dans la direction du palais maudit, ils répondirent : c’est l’enceinte d’« Aboma-na-mbaso », le monstre ! Et les géographes belges, croyant qu’il s’agissait là du nom du kodoro, marquèrent sur leurs cartes d’exploration : « Abumombazi » ! Ah, ces « oncles » belges, donner l’éponyme d’un monstre à ce qui allait devenir une si belle ville ! Et d’ailleurs, ce tyran fou a si bien traumatisé les féroces Ngbandis qu’on l’a éternisé dans la langue Mongwandi : « aller chez Nzengo », c’est faire un voyage duquel on ne pourra jamais peut-être revenir !
Il y eut des gens, encore et toujours des voisins hypocrites, pour critiquer les Ngbandis lorsqu’ils sont devenus ce qu’ils appelaient des « chiens couchants des Flamands » ! Eh bien, qu’ils racontent ce que bon leur semble mais une chose est certaine : sans les Belges, les Tara Ngbandis seraient aujourd’hui une espèce depuis longtemps éteinte. Ils sont donc tout simplement reconnaissants, les Ngbandis. C’est ainsi qu’ils étaient devenus le fer de lance de la Force Publique et passent aujourd’hui pour des Bangala —alors qu’ils sont d’abord des Soudanais ! Les vieux Ngbandis — dont le Général Louis de Gonzague Bobozo lui-même — murmuraient d’ailleurs presque ouvertement contre les mesures anti-Belges de Mobutu.
REMERCIEMENTS EFFUSIFS A : 1) EMMANUEL KANDOLO, GRAND CHRONIQUEUR HISTORIQUE, 2) MESSAGER DU SITE MBOKAMOSIKA ET 3) BARLY BARUTI, DONT LE DESSIN SERT DE CHARPENTE NARRATIVE DE CE RECIT.*
« Les Mongwandi sont très appréciés des blancs comme ouvriers et comme soldats ».
Franz Thonner, Du Congo à l’Ubangi : Mon deuxième voyage dans l’Afrique centrale (1910)*« Le poste d’Abumombazi, appelé d’ordinaire par les indigène Bombazi( a boma na mbaso), contient un nombre remarquable de constructions élevées en majeure partie au bord d’une longue rue coupée de nombreuses allées de palmiers […] Il y avait là trois blancs : un Belge, un Italien et un Suédois, exemple du mélange de nationalités dans l’administration du Congo belge ».
Franz Thonner, Du Congo à l’Ubangi (1910)*« La ville actuelle d’Abumombazi, étymologiquement A-bom-a na mbáso ‘qui
tue avec des bâtons’ […], connue surtout sous sa forme abrégée d’Abuzi…»
André Motingea Mangulu & Bonzoi Mwamakasa (2008)
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Ba ndeko bokoki kotika ya bino makanisi awa