Les Anciens Égyptiens ont-ils pratiqué le sacrifice humain ?
L’opinion suivant laquelle les Kamites (Anciens Égyptiens) pratiquaient le sacrifice humain a été largement diffusée dès la naissance de l’Égyptologie en Europe. C. A. Diop lui-même a pu écrire que :« Seth, le principe du Mal et du Désordre, le symbole de la trahison, est né sous les traits d’un Blanc aux cheveux roux; jusqu’à la fin de leur histoire, les Égyptiens massacraient spontanément ce type de Blanc aussitôt qu’ils le rencontraient, comme étant un être impur. Ils agissaient ainsi, non par intolérance, mais par préjugé (Antériorité..., p. 198) ».
Cette opinion, relayée comme ouï-dire par les auteurs Grecs de la période tardive (rappelons qu'Hérodote, vers 500 avant l'ère européenne, l'avait déjà décrite comme étant sans fondement), apparaît une nouvelle fois dans l’œuvre de Diodore de Sicile qui affirme qu’anciennement les rois d’Égypte sacrifiaient sur le tombeau d’Osiris des hommes de la couleur de Typhon (Seth). L’auteur grec écrit : « Les hommes de même teinte que Typhon (Seth) étaient aussi sacrifié dans l’Antiquité, dit-on, auprès du tombeau d’Osiris; au reste…on ne trouve que peu d’Égyptiens roux, tandis que la majorité des étrangers le sont (Bibliothèque Historique, Livre III) ».
Certainement, on peut s'étonner qu’il ne subsiste aucune représentation de sacrifices humains sur les parois des temples de Kemet, comme c’est le cas par exemple avec les Mayas de l’Amérique précolombienne, et qu'aucun papyrus ne mentionne de tels rites. De même, les preuves abondent qui nous informent que cette pratique était coutumière chez les tribus barbares d’Europe centrale et de l’Ouest (Wisigoths, Ostrogoths, Vandales, etc.), d’Asie centrale (Scythes), autant que chez les peuples Eurasiatiques établis en Afrique du Nord et au Proche-Orient (cultes de Baal, Houbal, Moloch, Cronos, etc.). En effet, c'est avec Plutarque qu'on apprend que : « c’est en pleine conscience et connaissance de cause que les Carthaginois offraient leurs enfants et ceux qui n’en avaient pas achetaient ceux des pauvres comme des agneaux ou de jeunes oiseaux, tandis que la mère se tenait à côté sans larmes et sans gémissements. Si elle gémissait ou pleurait, elle devait perdre le prix de la vente et l’enfant n’en était pas moins sacrifié; cependant, tout l’espace devant la statue était rempli du son des flûtes et des tambours afin qu’on ne pût entendre les cris (De la superstition, XIII) ». De même, Porphyre de Tyr affirme que : « Les Phéniciens, lors des grandes calamités que sont les guerres, les épidémies ou les sécheresses, sacrifiaient une victime prise parmi les êtres qu’ils chérissaient le plus et qu’ils désignaient par un vote comme victime offerte à Cronos (De l’Abstinence, II, 56, 1)».
Or, à Kemet, aucune littérature fondée sur la traduction de textes hiéroglyphiques ne rend compte de telles pratiques, celles-ci étant essentiellement véhiculées par des auteurs Grecs de la période tardive. Notre opinion sur cette question est celle de Jacques-Joseph Champollion-Figeac, le frère de Jean-François Champollion qui, quoique notoirement chauvin et raciste, à la différence de son frère, produira une mise au point suffisamment limpide sur cette question; mise au point que nous reprenons ici dans son ensemble (Extrait de Égypte ancienne, p. 45) :
« C’est ici le lieu d’examiner une opinion déjà très ancienne, écrit-il, qui attribue aux Égyptiens un usage ou une loi dont l’atrocité spéciale ne saurait être conciliée avec la sagesse et l’humanité de la législation générale de l’antique Égypte. Il s’agit des sacrifices humains, et nous croyons pouvoir nier avec certitude l’existence d’une telle pratique en Égypte dès qu’elle forma une société régulièrement policée, dès qu’elle eut un gouvernement et des lois. Nous pouvons avancer aussi que cette même opinion n’a pris quelque consistance que dans les Temps très modernes, relativement à l’époque où on suppose l’usage des sacrifices humains; et des croyances nouvelles ont pu chercher à l’accréditer, afin de frapper plus sûrement les croyances anciennes d’une juste réprobation. Selon les écrivains anciens, il n’existe sur ce sujet que des ouï-dire.
Ainsi, Plutarque, ou l’auteur moins ancien encore, peut-être, du traité d’Isis et d’Osiris, rapporte (d’après Manethon, dit-il) qu’en Égypte, à certains jours, à Eléthya en Thébaïde (aujourd’hui El-Kab), on brûlait vifs des hommes qu’on appelait typhoniens, et qu’on jetait leurs cendres au vent. Diodore de Sicile rapporte aussi comme un ouï-dire que, anciennement, les rois d’Égypte sacrifiaient sur le tombeau d’Osiris des hommes de la couleur de Typhon, c’est-à-dire roux; et comme il y avait plus d’étrangers que d’Égyptiens de cette couleur, c’était les étrangers que cette coutume atteignait plus particulièrement. D’autres écrivains postérieurs ont commenté et amplifié ces dires : un savant moderne était même si vivement frappé d’horreur pour une telle pratique, et en était si préoccupé, qu’il ne voyait plus dans les monuments égyptiens les plus inoffensifs, les zodiaques par exemple (pl.11) que des signes de crimes et abominations, des coutelas et des victimes. Mais il n’existe en réalité aucun témoignage imposant en faveur d’une telle opinion, et des faits d’une certitude incontestable la contredisent.
Ces faits sont de diverses natures : d’abord la sagesse générale de la législation égyptienne, si unanimement proclamée par les philosophes de la Grèce; ensuite, les garanties exprimées dans les lois égyptiennes en faveur même des esclaves[1], puisque celui qui tuait volontairement un homme, libre ou esclave, était puni de mort. Hérodote n’a rien appris en Égypte sur ces sortes de sacrifices, et il y a recueilli des notions tout à fait contraires; il traite d’absurdes les Grecs qui racontent qu’Hercule étant allé en Égypte, les habitants voulurent le sacrifier en grande pompe, mais qu’arrivé auprès de l’autel et au moment où les prières commençaient, Hercule, usant de ses forces, massacra tous les assistants. « Ce récit, ajoute Hérodote, prouve clairement que les Grecs n’ont aucune idée du caractère et des institutions des Égyptiens. En effet, on a vu qu’il ne leur est permis de sacrifier aucun animal, à l’exception des bœufs, des veaux, des moutons, lorsqu’ils sont purs, et des oies : comment donc auraient-ils pu vouloir sacrifier des hommes ? » Rien de plus concluant que ce passage contre la supposition des sacrifices humains; Hercule et sa fable n’y sont pour rien. C’est l’opinion d’Hérodote qui est tout : de son temps donc, et malgré les nombreuses informations qu’il a prises sur l’histoire et les mœurs de l’ancienne Égypte, il n’y a pas rencontré le moindre souvenir relatif à un usage aussi remarquable, aussi frappant pour un observateur du caractère d’Hérodote.
On ajoute que ce fut le roi Amasis qui fit cesser ces sacrifices : or, le roi Amasis vécut cent ans avant le voyage d’Hérodote en Égypte; Hérodote raconte fort en détail les évènements du règne d’Amasis, il mentionne quelques lois qu’il porta, et il ne parle en aucune manière de celle par laquelle Amasis aurait prohibé les sacrifices humains : Hérodote est donc, par ses paroles comme par son silence, une autorité contraire aux dires recueillis par Diodore et par Plutarque. Il est vrai aussi que d’autres attribuent la loi contre les sacrifices humains à un autre roi nommé Amosis, et des écrivains inattentifs peuvent avoir fait quelque confusion entre deux princes dont les noms sont à peu près semblables, mais qui appartiennent à deux époques de l’histoire égyptienne bien éloignées l’une de l’autre[2].
Amosis ou Ahmôs fut en effet le premier roi de la dix-huitième dynastie égyptienne, et Amasis fut l’avant-dernier roi de la vingt-sixième dynastie; Amosis régnait 1800 ans avant l’ère chrétienne, et Amasis 1200 ans après lui. La distinction des époques est donc ici une considération importante, et si de suffisantes autorités attribuaient à Amosis l’abolition d’une coutume inhumaine, il faudrait en attribuer aussi l’introduction en Égypte, à la peuplade barbare et inculte qui envahit cette contrée deux mille ans et plus avant l’ère chrétienne, qui répandit sur l’Égypte toutes les calamités d’une invasion brutale et destructive de toute police et de toute civilisation, qui s’appliqua enfin à abolir les productions des arts, celles de l’intelligence, la religion et les lois, par l’incendie et la mort. Ce fut Amosis qui délivra l’Égypte de ce fléau, qui rétablit l’ancien ordre de choses, le culte national et les lois en Égypte : s’il eut à abolir les sacrifices humains, c’est que les Barbares qu’il chassa les y avaient introduits : ce n’est donc pas à la législation, à la sagesse égyptienne qu’on doit imputer d’avoir jamais, dès que cette législation exista, autorisé ou prescrit les sacrifices humains. Nous ne parlons pas de l’Égypte non civilisée : il n’y avait pas encore d’Égypte alors, et à la période de barbarie, tous les peuples se sont ressemblés; mais aux yeux de la morale, leur ignorance les a absous de leurs crimes.
On n’a pas manqué de chercher dans les monuments égyptiens des traces ou des preuves d’un usage qui n’exista point, et on a même cru en avoir trouvé. Mais c’est donner une expression trop directe à des compositions évidemment symboliques, et dont l’interprétation, au surplus, ne dérive que de plusieurs suppositions absolument gratuites. On voit souvent sur les monuments historiques un roi égyptien frappant d’un coup de hache, de la main droite, un groupe d’hommes de physionomie et de couleurs diverses, dont il a réuni les cheveux dans sa main gauche. Voilà, a-t-on dit, un groupe de prisonniers égorgés en sacrifice sur l’autel des dieux de l’Égypte par le roi après sa victoire. Les prisonniers, ainsi groupés, ont une physionomie tellement prononcée dans les bas-reliefs peints des temples de l’Égypte, qu’on y distingue facilement les peuples divers qui en ont fourni les types; on y reconnaît l’Africain, l’Asiatique, l’Indien, l’Arabe, etc.; chaque individu est là le symbole de la contrée qu’il habita, et l’ensemble du tableau n’est que l’expression figurée de la conquête de ces contrées par le roi vainqueur. Ce roi n’est pas un sacrificateur, et le sacrificateur n’était pas capable d’abattre d’un seul coup vingt têtes d’hommes à la fois.
Une autre scène, sculptée à Medinet-Habou, à Thèbes, a été aussi l’objet d’une interprétation analogue, mais également hasardée : c’est une cérémonie religieuse relative à l’intronisation du Pharaon Rhamsès-Méiamoun. Deux autels sont surmontés de deux enseignes sacrées; deux prêtres, reconnaissables à leur tête rasée, et mieux encore à leur titre inscrit à côté d’eux, sont devant le grand-pontife, qui préside à la Panégyrie et tient en main le sceptre insigne de ses hautes fonctions : ces deux prêtres se retournent pour prendre ses ordres, pendant qu’un autre prêtre donne la liberté à quatre oiseaux qui s’envolent. On a voulu voir aussi dans cette scène des sacrifices humains, en prenant le sceptre du grand-prêtre pour un glaive, les deux prêtres pour deux victimes, et les oiseaux pour l’emblème des âmes qui s’échappaient du corps des deux malheureux égorgés par une barbare superstition. Mais une inscription qui fait partie de la scène en explique le véritable sujet; elle nous apprend que le grand-prêtre, président de la Panégyrie, dit : Donnez l’essor aux quatre oies Amset, Sis, Soumauts et Kebhsniv; dirigez-vous vers le midi, le nord, l’occident et l’orient, et dites aux dieux de ces contrées que Horus, fils d’Isis et d’Osiris, s’est coiffé de la couronne royale. Cette scène n’est donc encore qu’un tableau symbolique et religieux relatif à l’intronisation, au couronnement et au sacre d’un roi d’Égypte : on ne trouvera donc là, qu’à l’aide de gratuites interprétations, des preuves authentiques de sacrifices humains en Égypte. Il ne faut donc plus répéter une supposition traditionnelle, démentie par les faits de l’histoire .»
[1] Il est d’usage de rappeler que la notion d’esclavage, comprise comme l’achat, la vente, et la réduction d’un être humain au rang de bien cheptel ou de bien meuble, n’a pas existé dans l’Afrique traditionnelle et a fortiori en Égypte antique.
[2] Amosis = Iahmessou (fondateur de la 18ième Dynastie). Amasis = Iahmessou II (roi de la 26ième Dynastie). Nous disons roi et non « Fari» concernant Amasis car il fait partie d’une dynastie d’usurpateurs (celle de Saïs). En effet, le Pharaon n’est pas celui qui règne sur l’Égypte, mais le souverain dont l’avènement au trône rempli trois conditions préalables: 1) Être un indigène de la vallée du Nil, 2) Être intronisé par le clergé de Thèbes ou de Memphis, Être l’époux d’une princesse indigène d’ascendance royale. Ainsi, tout personnage ne remplissant pas ces trois conditions ne saurait être appelé Fari (Pharaon).
[3] Il s'agit des Hyksos (Héka Khasout), coalition de tribus eurasiatiques. Ceux-ci envahirent l'Égypte vers 1670 avant l'ère européenne. Identifiant Seth à leur divinité ancestrale Baal, ils l'élevèrent au rang de divinité nationale. Le culte de Baal est un culte du sacrifice humain.
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Ba ndeko bokoki kotika ya bino makanisi awa