vendredi 4 avril 2014

LE POUVOIR COUTUMIER AU KASAI





GESTION DU POUVOIR COUTUMIER AU KASAI.
 
 investure kalamba
 
 
 « investure_kalamba »: Le roi Kalamba avec le casque offert à ses ancêtres par l'Allemend Von Wissmann...
            Nous allons voir comment la société traditionnelle était organisée au Kasaï. Nous tenterons de montrer l'origine des conflits coutumiers souvent récurrents au Kasaï.
 
            La société kasaïenne est de régime patriarcat. C'est-à-dire que le père et sa famille sont prépondérants sur la famille de la mère. L'organisation du pouvoir coutumier, chez les Baluba, dépend, de manière très rigoriste, de ce régime. Les villages, au Kasaï, sont souvent un groupement de familles issues d'un même descendant mâle. Les conflits de succession, de pouvoir et d'hégémonie ont souvent aboutis à des scissions entre les clans luba. Mais parfois certaines séparations se faisaient de manière naturelle, c'est-à-dire que les contraintes économiques de ce temps là exigeaient de chercher d'autres terres d'accueil. Ces séparations donnaient droit à des nominations se référant toujours à l'ancêtre commun. Cette situation est clairement visible dans tous les clans luba par les préfixes « bena », « bakua » ou « mua » ou « kua ». A titre d'exemple, nous citerons les bakua Kalonji, bena Nkelenda, bena Ngeleka, kua Katumanga, kua Nkuadi, kua Tshiananga Tshiondo,  kua Mupompa wa Mpanga, mua Mudimbi, bena Nsapu, bena Konji, Ba Jila Kasanga, Bakuanga, Bakete, bakua Luntu, bena Kanioka etc...
 
            Prenons par exemple les descendants d'une même personne. Un certain Nkosekela. Dans la généalogie luba, on ne compte que les mâles ou les garçons. Celui-ci avait 3 fils qui se prénommaient Tshitolo, Nkashama et Ndoba. La descendance de ces 3 personnes se décline en bena Tshitolo, bakua Ndoba et bana ba Nkashama. Ce dernier, Nkashama, ses descendants s'étant scindés en trois branches à leur tour: bakua Bowa, bena Kabindi et bakua Kanda. Les préfixes « bakua », « bena » veulent dire simplement les « descendants de ». Les préfixes « Mua » et « Kua » sont encore plus directs. Ils indiquent une filiation paternelle encore plus directe dans la descendance. On dira ainsi de Claude Kangudie et de Joseph Malula qu'ils sont des bena Kabindi par exemple. On retrouve parfois les noms des femmes. Mais il s'agit de familles à plusieurs épouses. Toujours dans la lignée du père, les descendants se définissent par leur mère pour se distinguer des autres. A titre d'exemple: bena Bilonda, bakua Nsumpi, bena Nshimba, bena Tshilanda...
 
            Le pouvoir coutumier, hérité des ancêtres, était exercé que par les hommes. Et selon le droit d'aînesse. Dans tous les clans luba, la famille royale propriétaire du trône du pouvoir coutumier était toujours connue. Même aujourd'hui, ces familles sont connues dans chaque groupement ou village. La succession était réglée d'avance. Mais il arrivait que des conflits de succession éclatent. Alors la branche qui s'estimait lésée dans ses droits, se séparait des autres...elle allait ainsi s'installer sur une nouvelle colline, le long d'une rivière ou dans une vallée. Mais elle gardait toujours un nom la rattachant à l'ancêtre commun. Jamais un clan ou un groupement luba ne prenait ni le nom d'une colline, ni le nom d'une rivière, encore moins le nom d'une vallée. Les appellations des éléments naturels servaient juste à préciser l'emplacement d'un village. Une rivière, une colline ou une vallée n'ont jamais engendré un être humain. A titre d'exemple les Bajila Kasanga connurent une séparation. La branche dissidente s'appela bena Nkelenda.  On devient pas Muntandu, Muluba, Nande, Mubowa, Muyeke, Mutetela, Mukusu, Ngbandi etc...par le fait d'habiter une colline du Congo. Quand bien même on s'est marié à un Muyombe, un Mushi, un Mbunza, un Libindza, un Muyanzi, un Muyeke on ne devient pas membre de cette tribu. Pour être membre d'une tribu congolaise, c'est par un lien de sang. Le mariage est une simple alliance...Chez les Baluba, le pouvoir coutumier s'exerçant par les descendants mâles, le droit de sol revient à ceux-ci. Dans les années 1960, une communauté angolaise, les « Bimbadi », s'installèrent au Kasaï sur les terres des bakua Nsumpi. Même si ces frères angolais se sont mariés avec les fils et les filles de bakua Nsumpi, cela ne leur donne aucun droit sur les terres. Sauf pour les enfants mâles issus des unions entre un homme de bakua Nsumpi et une Bimbadi. Ces enfants (garçons et filles) sont considérés comme des bakua Nsumpi, donc des Congolais de souches. Les Bimbadi ont acquis la nationalité congolaise, par la volonté de l'Etat congolais, pas par la force. Mais malgré cette nationalité, ils n'ont pas le droit de sol. Celui-ci appartient aux autochtones. Notre constitution reconnaît le droit coutumier. Et celui-ci donne le droit de sol aux descendants des 450 tribus congolaises.
 
            Avant l'arrivée de l'homme blanc dans notre territoire, l'autorité ou le pouvoir dans l'espace kasaïen était assuré et exercé par nos chefs traditionnels, communément appelés aujourd'hui "chefs coutumiers". De cette période, nous savons que l'autorité des ces chefs n'était nullement contestable. Parfois elle s'exerçait dans toute sa force et rigueur. Tous les royaumes et empires de l'espace kasaïen étaient dirigés par un pouvoir fort symbolisé par des rois ou empereurs forts. Chez nos frères Bakuba, chez nos frères Bashilanga, chez nos frères bakua Kalonji, chez nos frères Tetela, chez nos frères Basonge certains noms de ces illustres rois ou empereurs sont parvenus jusqu'à nous. Le pouvoir était monolithique. Il régissait la société dans son fonctionnement. Ce pouvoir était aussi très démocratique. Si le roi était tout puissant, il faut souligner que sa légitimité lui venait de l'appui et de la complicité avec tous ses sujets. Le roi vivait et ne respirait que pour et par son royaume. Le roi était le dernier à se servir. Il avait une cour où son pouvoir et son autorité s'exerçait d'une manière démocratique. Les notables et sages avaient leur mot à dire sur la gestion et la vie du royaume.
 Lukengu wa Bakuba
 
 
 « Lukengu wa Bakuba »: Lukengu wa Bakuba sur son trône. Une occasion d'apprécier le savoir-faire de l'art kuba à travers la tenue du roi.
            Lorsque le Belge arriva au Kasaï, il maintint le pouvoir des chefs coutumiers. Mais il inféoda ce pouvoir à son autorité. Donc nos chefs coutumiers furent relégués au rang de simples exécutants de la volonté coloniale. Ce fut la génération des capita médaillés. Certains se souvenant de la splendeur de leurs ancêtres refusèrent ce nouvel ordre. Ils furent brisés nets...D'autres s'en raccommodèrent par divers subterfuges. Les rapports de force imposés par l'homme blanc ont complètement déstructurés notre société. Nos chefs traditionnels et légitimes n'avaient aucune place dans ce nouvel ordre qui nous était imposé de fait. Les plus récalcitrants d'entre eux qui refusèrent de se soumettre furent soit mis à mort, soit relégués dans leur propre pays. Tels furent les cas de Lumpungu des Basonge à Kabinda, Kasongo Mule des bakua Nsumpi et de Kalamba Tshikomo des Bashilanga. Cet état des faits fit que notre société, nos empires et nos royaumes furent profondément désorientés et perdirent leur mode de fonctionnement naturel. La Belgique mit ainsi en place la politique de « diviser pour bien régner ». A la place des familles régnantes qui étaient connues dans tous les royaumes, les Belges décidèrent d'imposer les petites familles périphériques au pouvoir coutumier. Ceci partout où les chefs traditionnels se montraient rebelles à l'autorité belge. Comme par exemple le cas de Kasonga Mule chez les bakua Nsumpi, le clan de bena Muamba fut remplacé par celui de bena Ditutu par les Belges. Cette méthode remit au pas les récalcitrants éventuels. Mais dans tous le villages, tous les regroupements au Kasaï, les familles régnantes étaient connues de tous... De cette mauvaise façon de faire du colonisateur date les conflits de pouvoir coutumier qui minent l'espace kasaïen jusqu'à nos jours. Tout le monde, au Kasaï, sait comment se gère et, surtout, comment se transmet le pouvoir coutumier. Quelle est cette contrée de l'espace kasaïen qui n'a pas son conflit coutumier ? Souvenons-nous de nos Kapitas médaillés que l'on voit encore aujourd'hui sur photo, avec des poitrines pleines de décorations sur des vestes offertes par les Blancs alors qu'en bas, à la place du pantalon, ils n'ont qu'un simple draps blanc. Les empires et royaumes de notre espace kasaïen survécurent, sur le plan moral, social, économique dans ce nouvel ordre par le simple fait que celui qui l'avait institué, le colonisateur, avait la force et la possibilité de maintenir tout le monde dans ce système.
 Meta Nsankulu
 
Photo « Meta Nsankulu »: la dame de fer à la cour royale à l'arrivée du premier blanc au Kasaï.
            Arrivons à l'indépendance. Les familles régnantes, longtemps privées de leur droit légitime au trône des ancêtres, pensèrent que les choses seraient rétablies dans la situation d'avant. Les troubles que connut notre pays dans ses premières années d'indépendance ne permirent pas de se pencher sur cette question. A l'avénément de la 2ème République, les ayants droit à leur tône révendiquèrent d'être réhabilités. Mais on assista à des situations rocambolesques. La fonction territoriale était assumée par nos frères d'autres provinces. Comment peut-on demander à un gouverneur Muyombe du Kasaï de résoudre un tel problème ? La gestion de succession du pouvoir coutumier est hors de ses compétences. Les gouverneurs, les commissaires des sous régions, les commissaires de zones de la 2ème République trouvèrent dans ces conflits une bonne occasion de se remplir les poches. Ainsi, ils se faisaient tout bonnement corrompre par les deux, voires trois camps en conflits: « le chef » qu'établissait le commissaire sous régional le matin était déposé le soir par le gouverneur qui rétablissait l'autre « chef » du camp adverse...Dans tout ce folklore, les poules et les chèvres payèrent le prix fort...sans oublier les colis de diamants. Au colonisateur belge se succéda la nomenklatura du MPR. C'est dans le même sens nuisible qu'on vit, récemment, l'ancien gouverneur du Kasaï Occidental « limoger » un chef coutumier du Kasaï et en nommer un autre... Il avait simplement oublié que le pouvoir coutumier est intemporel contrairement au pouvoir politique qu'il détenait. Et étant fils du Kasaï, ignorait-il comment se gère le pouvoir coutumier ?
            Certains pouvoirs coutumiers étaient parvenus à résister à cette corrosion empoisonnée. Tel chez les bakua Kalonji. Qui se risquerait à aller contester le trône de Mutombo Katshi à ses descendants ? Qui se risquerait à aller contester le trône de Tunsele Kalamba à ses héritiers ? Qui peut oser aller s'asseoir sur le trône de Lukengu wa Bakuba, s'il n'est pas de sa descendance ? Il en est de même chez nos frères Basonge...Dans les années '80, un certain Tshibambe Tshiewunga, féticheur marabout de son état osa l'impensable...           Ce monsieur fut recruté par les services occultes de Mobutu. Il réussit à préparer quelques voyages du maréchal zaïrois sur le plan mystique et prouva ainsi son efficacité au président zaïrois. Il ne fut pas rare de voir les hélicoptères de la présidence faire des aller-retour Kinshasa/Kabinda...Fort de ses entrées à la cour de Mobutu, notre Tshibambe Tshiawunga se mit en tête l'idée de devenir chef des Basonge. Il osa défier le digne successeur de Lumpungu Kamanda, l'honorable chef Mutamba. Les notables et prêtres gardiens du temple des ancêtres décidèrent que ce conflit sera tranché par les ancêtres eux mêmes. Ils organisèrent une séance de jugement et convoquèrent Tshibambe Tshiewunga et sa suite. Ils en firent de même pour le chef Mutamba. Ils invoquèrent les esprits des ancêtres de l'Est et de l'Ouest. Le trône du pouvoir coutumier était devant eux. On demanda à Tshibambe d'invoquer ses ancêtres et de faire valoir ses droits de chef des Basonge. Chose qu'il fit. Ensuite, comme il se prétendait légitime de monter sur ce trône, on lui demanda d'aller s'asseoir dessus. Notre marabout magicien s'exécuta...tout le monde qui était présent vit ce qu'il fallait voir...La peau de léopard a ses mystères en Afrique. Malgré ses puissances mystiques, Tshibambe Tshiawunga se retrouva nu comme un vers devant toute l'assistance! Vint ensuite le tour de l'honorable Mutamba, digne successeur de Lumpungu'a Kahumbu. Celui-ci invoqua ses ancêtres, prit la peau du léopard et monta sur le trône de ses ancêtres et s'y assit. Aucune manifestation ! Les conflits coutumiers au Kasaï sont parfois créés par des personnes qui ont fait des études. Ces personnes pensent que leurs diplômes leur donnent droit au trône du pouvoir coutumier. Mais chez nos frères Basonge ou Bakuba, la punition pour le récalcitrant ne se fait point attendre. Prenons, par exemple, notre Boshab national, malgré ses « exploits » politiques, n'oserait jamais franchir le rubicon. Le royaume kuba fut l'un des rares où le maréchal Mobutu trouva porte close. La seule cérémonie d'intronisation d'un roi kuba dure neuf mois...période de gestation. Soit neuf niveaux d'initiation et ensuite naît le nouveau roi. Le mystère du chiffre « 9 » dans la cour royale kuba. Un mystère bien gardé par les prêtres du royaume...
 
            De nos jours la plupart des chefs coutumiers vivent dans la capitale Kinshasa. Ils ont abandonné l'arrière pays et leur cour. Nous pensons que c'est à eux de répenser l'exercie de leur pouvoir pour ranimer la souverainété reçue de leurs ancêtres. Et il serait utile que le pouvoir politique arrête de se mêler des choses qui ne le concerne pas et qu'il ne sait pas gérer parce qu'il n'y comprend rien. Il faudrait instaurer une autre cohabitation et un modus vivendi nouveau entre les deux pouvoirs. Hier le belge avait imposé son impérium, aujourd'hui et demain, il faut jeter de nouvelles bases d'existence entre les deux systèmes.
 
CLAUDE KANGUDIE
 
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Ba ndeko bokoki kotika ya bino makanisi awa